Negan Stram

Jolis Frissons

Une si jolie robe

La bonté est le plus merveilleux et excessif des diamants. Ramassé par la bienveillance, taillé par le partage, sculpté par l’empathie, polie par la compassion, admiré par la reconnaissance, critiqué par la sincérité, et brisé par la fourberie.

Aline Mileur, riche et séduisante femme de cinquante ans, étudiait d'un regard orgueilleux les somptueuses robes présentées derrière les vitrines de boutiques de luxe. Des robes somptueuses à des prix exorbitants qu’elle pouvait s'offrir. Aline et son mari, Jacques, étaient des gens fortunés. Ils étaient mariés depuis trente ans. Le couple n'avait pas d'enfants. C'était trop d'occupation, et puis Aline, trop égocentrique, voire narcissique, refusait de gâcher son temps et son argent à élever un môme. Une petite boutique à la façade sombre attira l'attention d'Aline, qui scruta une sublime robe bordeaux. Une robe de princesse à la couleur du vin rouge. La robe était ornée de diamants sur toute la longueur de l'ourlet. Le bas du bustier était enrubanné d'un tissu lie de vin, un violet sombre qui se confondait à la perfection avec le bordeaux. En haut du bustier, de fins motifs étoilés étaient brodés. Cette robe est merveilleuse, et ces diamants étincelants, songea Aline qui s'imaginait attirer toute la jalousie et l'envie de ses convives, ce soir, lors du gala auquel son époux et elle étaient conviés. Devant la boutique, un enfant vêtu à la Oliver Twist, obstruait le passage. Aline soupira de mépris face à la sordidité du garçonnet.

- Oust, pousse-toi de là. Tu n'as rien à faire devant une telle boutique. Regarde-toi.

- Vous auriez une pièce, s'il vous plaît, mademoiselle ?

Aline se détendit face à ce dernier mot. Mademoiselle, il l'avait appelée « mademoiselle », le mot que toutes les femmes de son âge regrettent de ne plus entendre. Un mot qui rimait avec jeunesse, insouciance et beauté fugace. Pour ce compliment, Aline accepta de fouiller dans son portefeuille. Elle dénicha une pièce d'un euro qu'elle balança par terre. L'enfant se rua dessus, tel un chien qui se rue sur sa balle. Aline entra enfin dans la boutique. Un vieil homme l’accueillit d'une voix rêche.

- Madame, en quoi puis-je vous aider ?

- Bonjour Monsieur, votre robe, la bordeaux dans la vitrine, me captive. Je la veux.

Le vieux ne montra pas sa désolation de se retrouver face à cette femme belle, mais hautaine. Il se contenta de sortir la robe et de la présenter à Aline, qui dévorait les diamants des yeux.

- Une robe simple qui se porte près du corps. Elle possède trente-deux diamants : la pièce la plus chère de ma boutique ; pas seulement parce qu'elle détient des diamants d'une valeur inestimable. Cette robe appartenait à une jeune femme ayant vécu au vingtième siècle. Son existence rend la robe encore plus chère.

- Qui était cette femme ? s'enquit Aline.

- Elle se nommait Victoria Demain. Une femme aussi séduisante que machiavélique. Le sadisme coulait dans ses veines. Elle a assassiné dix de ses amants. Elle leur coupait la langue lentement. Certaines fois, elle léchait leur langue charnue devant leurs yeux horrifiés avant de la mâcher ou de forcer l’un d’eux à manger son propre organe. Bref, je vous passe les scènes macabres qu'elle a perpétrées. Son époux ignorait l'obscurité qu'abritait son épouse. Elle a, chaque fois, assassiné ces hommes en portant cette robe. Elle affirmait que cette robe lui procurait une satisfaction démesurée. La légende raconte, qu'au début, cette robe n'était pas de cette couleur. Elle était blanche. La couleur de la pureté. A chacun de ces assassinats, le sang de ses victimes s'éclaboussait sur la robe, la rendant, à la fin, de cette couleur. Un bordeaux sombre, parce que la terreur de ces victimes avait contaminé leur sang, le décolorant de sa couleur originelle.

Aline laissa l'homme monologuer et consulta internet. Elle tapa le nom de cette Victoria Demain dans la barre de Google, puis cliqua sur le premier lien. Un portrait en noir et blanc s'afficha à l'écran. Une femme au visage d'ange, un nez retroussé couvert de taches de rousseur et des yeux envoûtants. Le portrait illustrait un article de presse datant de 1908. Le vieux ne me ment pas. Cette nana a vraiment existé.

- Combien vendez-vous ce bijou ?

Aline s'imagina déjà être le centre de l'attention en racontant l’histoire de sa robe. Elle en rajouterait même « Porter cette robe en la parant de ma moralité, c'est rendre un digne hommage à ces pauvres hommes ».

- Quatre-vingt-dix mille euros.

- Je la prends.

- Vous ne souhaitez pas l'essayer avant ?

Aline se sentit offusquée. Qu'insinuait le vieillard, qu'elle était trop proéminente pour entrer dans de cette robe. Voyant le trouble se peindre sur le visage de la femme, il s'empressa d'ajouter :

- Ne vous en faites pas, le tissu est très élastique. Vous parviendrez à rentrer dedans.

Les derniers mots étaient sarcastiques. Aline régla son achat puis sortit de la boutique. En sortant, elle heurta le garçonnet assis sur le trottoir, qui lui demanda une seconde fois si elle avait une pièce.

- Mon Dieu, depuis combien de temps n'as-tu pas pris de douche ? Tu empestes la sardine.

Le garçon haussa les épaules. Il jouait avec des cailloux se salissant encore plus les mains.

- Tu ne devrais pas rester devant la porte de cette boutique. Tu fais fuir des clients prestigieux avec ton piètre aspect et ton odeur.

Le garçon baissa ses petits yeux bruns et continua de jouer avec les cailloux. Aline soupira et commença à partir quand elle entendit le garçonnet réclamer :

- Et ma pièce ?

- Tu n’as pas de parents ? Pourquoi traînes-tu à un endroit où tu n’as pas ta place ? Tu me parais intelligent, du moins suffisamment pour que tu remarques que dans cette rue pittoresque, tu fais tache.

Le petit garçon leva la tête, ses petites joues rebondies n’attendrirent pas Aline, qui le toisa d’un regard hautain rempli de mégalomanie.

- Quand papa tape maman, le monsieur de cette boutique me dit de venir ici. Que là, je suis en sécurité.

Aline leva les yeux au ciel. Quelle bêtise fait le monsieur de la boutique en t’accueillant. Tu fais fuir tous les clients fortunés. Tu es un déchet qui pollue l’une des plus belles rues parisiennes. Aline quitta les lieux sans remarquer la présence du vieillard derrière la vitrine. Celui-ci avait observé la scène et avait lu les dernières pensées d’Aline. Il attendit quelques minutes avant d’inviter le jeune garçon à goûter dans sa boutique.

 

Aline entra dans sa grande maison et se rua dans la salle de bains afin de revêtir sa nouvelle robe. Jacques la rejoignit les sourcils renfrognés.

- Nous sommes en retard. Ce gala n’est pas à manquer.

- Je sais. Je me dépêche.

Jacques quitta la pièce. Aline enfila la robe. Le bustier mettait en valeurs sa poitrine élancée. Soudain, elle eut l'impression que la robe l'étouffait. Elle tenta de détendre le tissu avant de prendre conscience avec stupeur et incompréhension que la robe la serrait de plus en plus. Elle sentit ses organes se comprimer et hurla en s'étalant sur le sol. Jacques accourut.

- Que se passe-t-il ?

- La robe. Je n'arrive plus à la retirer. Aide-moi, j'étouffe.

Jacques constata que la fermeture était coincée. Sa femme le suppliait maintenant d’arracher la robe. Il se munit d'une paire de ciseaux. Le tissu ne se découpa pas. Jacques se troubla. Aline se mit à suffoquer. Ses seins, elle craignait qu'ils explosent sous la pression de la robe qui resserrait son étreinte.

- Les ciseaux. Je vais chercher une autre paire.

Jacques tenta une seconde fois de couper la robe. Impossible. Il tenta d'arracher le tissu à l'aide de ses mains, en vain.

- C'est quoi ce bordel Aline ?

La femme cracha du sang. Un sang de couleur bordeaux. Jacques, paralysé de terreur, contacta les secours.

- C'est ma femme, oui, elle s'étouffe. Non, c’est une robe trop serrée. Oui.

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