Jean-Christophe MALEVIL

La Mécanique des Âmes Mortes

 

Chapitre I

Au commencement…

Quelques millénaires après sa chute, d’autres anges virevoltent dans les airs. Le banni a laissé un goût amer sur les lèvres mais se voit s’entretenir avec son Père, créateur de toute Lumière Divine.

Je veux que tu éprouves les Hommes.

Les deux êtres sont réunis près d’un lac inconnu des Hommes à naître.

Je veux que tu éprouves les Hommes, reprit-il en regardant l’Ange de Lumière dans ses yeux noirs pareils à une nuit éternelle.

Et sans baisser la tête il lui répond :

Oui, je le ferai Père… Je le ferai.

L’Ange banni depuis des millénaires regarde autour de lui. Il scrute chaque arbre, chaque coin de cette nature perdue au milieu d’un monde qui resterait inconnu.

Je ferai alors de cet endroit le commencement effroyable de la négation de la vie. Je vais pervertir cet endroit, inverser ses douceurs et ses couleurs, abominer les odeurs célestes et éthérées et j’y ferai vivre la Mort qui naîtra de votre désir et de mes douleurs éternelles pour vous et pour eux ; alors, tous les Hommes souffriront, connaîtront la douleur, la peur ; et la malveillance remplira leur cœur. Oui, je le ferai.

L’Ange de Lumière pointe son doigt vers le lac profond, regarde son Père de ses yeux sombres et récite une prière sous l’œil terrifié du Père immobile :

Au commencement est la Mort et un jour, il se racontera que des confins de toute existence elle naquit femme, fine, belle, et terriblement séduisante ; je la crée pour vous, mon Père, afin qu’elle éprouve les Hommes dans leur chair et dans leur cœur.

Les anges, qui les regardent tous deux, tremblent de stupeur et d’effroi. Comme égarés dans leur propre peur. Une peur qu’ils ne connaissaient pas. L’Ange de Lumière continue :

Toi, la Mort, je te crée, immuable et ondoyante, vêtue de noir et de couleurs écarlates ; l’agonie, la souffrance et le désespoir sont semés par ta main exsangue. Mon désire est que tu infectes les corps… comme mon Père a meurtri ma vie dans les Cieux, près de lui alors qu’il m’avait demandé de charrier les flots de Lumière avec lui…

Un silence pèse mais ne dure qu’un instant, son doigt est toujours pointé vers le lac… Les anges ont disparu et son Père omniscient réalise qu’il n’est plus maître en ce coin du monde qu’il avait abandonné jadis à l’Ange de Lumière.

Meurtris les Hommes, continue-t-il. Ravage et gangrène, mutile et assassine. Ton regard est néfaste, tu nais tragique hécatombe.

Et pour la première fois, lui, son Père, ailleurs dans les Cieux, baisse la tête et entend la voix ferme et assurée de l’Ange de Lumière reprendre sa prière, inflexible et haineux :

Sème le poison qui pénètre les corps, ensemence les nuits sans sommeille d’horribles visions aux formes indistinctes mais sombres. Cause délire et démence. Mon Père, la Mort sort de mes enfers, de vos propres enfers et, vous ne l’y renverrez pas. Je la crée pour vous mon Père… car vous me le demandez.

Et du lac, une jeune femme d’une beauté sans nom jusqu’alors apparaît. La Mort était née et avec elle, la souffrance, la douleur et le désespoir…

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