Le lac de l'Ange, Sébastien Ortiz

 

Tom

     Dans un coin du sud de la France, un jeune homme de seize ans, des plus marginaux, rentre du lycée avec une nouvelle à annoncer à ses parents. Ce jeune étudiant se prénomme Tom. Il est l’aîné de deux frères Nick, le plus jeune, douze ans et Chris, le second, âgé de quatorze ans. Il n’a jamais redoublé et se trouve alors en terminale scientifique avec en spécialité les mathématiques. Ses résultats étaient moyens et il se demandait régulièrement pourquoi avoir choisi cette branche tant il détestait la physique et la biologie. Mais il n’avait plus le choix, il devait aller jusqu’au bout de son année et obtenir son bac coûte que coûte.

     Il souhaitait devenir professeur de mathématiques ou d’histoire géographie ou bien avocat. Trois branches complètement différentes mais qui le passionnaient toutes autant. Ce qui est commun à ces trois orientations, c’est le contact permanent avec les enfants et adolescents. Dans le professorat, son but était de partager son savoir, sa culture, d’éveiller la curiosité et l’intérêt des élèves, même les cas soi-disant “désespérés”, de créer un lien de confiance. Alors la magistrature, pourquoi ? Dans le but d’assurer la protection des mineurs et bien sûr remettre sur le droit chemin les écorchés de la vie. Tom, au moins, avait le choix en comparaison de certains de ses camarades qui n’avaient encore aucune idée de ce que pourrait être leur avenir.

     Il expliquait par ailleurs, à qui voulait l’entendre, que son envie de devenir professeur venait du fait que durant toute sa scolarité, il a été guidé par des enseignants qui, en plus de transmettre de façon remarquable et passionnée leur matière, prenaient garde à ce qu’aucun élève de la classe ne lâche prise. Depuis la classe de cinquième, il était convaincu que c’était un métier qu’il souhaitait exercer. Il s’imaginait même être un enseignant dont la classe ne formerait qu’un bloc et où tous avanceraient au même rythme, où les plus intelligents aideraient ceux qui seraient en difficulté. Quelle utopie selon certains ! Mais un jour d’automne, il rentra du lycée avec une toute nouvelle idée qu’un de ses amis lui avait mise en tête.

     D’un naturel optimiste et joyeux, en arrivant, il contempla sa maison comme si c’était la dernière merveille du monde. Il la trouvait simple mais pour lui elle regorgeait d’amour et de souvenirs très rigolos. Même s’il savait qu’il n’avait pas habité uniquement cette maison, il n’avait aucun souvenir de son premier logement et considérait avoir toujours habité ce petit village de neuf cents habitants. Devant, il y avait un parterre de pelouse avec de très jolis rosiers rouges, couleur et fleurs préférées de Tom, et un magnifique cerisier qui au printemps était d’une splendeur sans égal. Et pour une maison du sud de la France, l’incontournable piscine et une modeste terrasse, à l’arrière de l’habitation, permettaient de vivre des moments joyeux et festifs durant les longues soirées d’été sous le chant des cigales, qui du matin au soir résonnait à travers tout le quartier. La maison était située dans un endroit très calme à la sortie du village, loin du bruit du trafic de camions toujours de plus en plus nombreux à traverser la petite commune. Le silence et la tranquillité étaient les maîtres mots en ces lieux, même si parfois ces derniers étaient entrecoupés d’une petite dispute chez les voisins, qui de temps en temps s’envoyaient des mots si doux, que le voisinage proche pouvait finir par se demander pourquoi ils s’étaient mariés ou mieux encore pourquoi n’avaient-ils toujours pas divorcé…

     En ouvrant la porte d’entrée, il aperçut, sur sa gauche la télé allumée diffusant les informations du moment, toujours aussi pessimistes qu’à l’accoutumée, avec des attentats par-ci, des hausses d’impôts et hausse du chômage par-là… Sur sa droite, ses parents étaient assis autour de la table de la cuisine. Ils préparaient le repas pour le soir. Pendant que sa mère, Manon, préparait les endives à la béchamel, son père, Flo, s’occupait du dessert : les crêpes. Un vrai chef ! D’ailleurs, bien souvent il pensait à se reconvertir dans la restauration. Tom se réjouissait à l’idée de se mettre à table. Endives et crêpes faisaient partie de ses plats préférés. Toutefois, il n’était pas difficile du tout. D’ailleurs avec sa silhouette mince, il en rendait certains jaloux, car il pouvait manger autant qu’il voulait ça ne changeait rien. En général quand il entendait ce genre de réflexion, il disait toujours que tout partait dans les neurones. Sinon, son père était mécanicien et patron de son propre garage, sa mère travaillait avec lui en tant que secrétaire dévouée, aucun chiffre ne lui échappait. Avec tout son sérieux et sa bonne gestion, il était impossible, selon Tom, que l’entreprise fasse faillite. Tout content de sa journée et ravi du repas à venir, il engagea alors la conversation :

— Papa, maman, j’ai discuté avec un camarade au lycée, Joey.

— Tiens ! C’est surprenant, j’ai justement discuté avec sa mère avant-hier matin alors que cela faisait un moment que je ne l’avais pas vue, interrompit Manon.

— Oui je le sais. Il me l’a dit. C’est d’ailleurs par ça que nous avons engagé la conversation. Il m’a dit que vous aviez parlé plus d’une heure ! Je me demande toujours comment vous faites pour avoir tellement de choses à vous raconter.

— Quand on parle de nos enfants ça va très vite il y a toujours plein d’histoires et puis je te rappelle que ça faisait un moment que nous n’avions plus discuté…

-C’est sûr. Sinon avec Joey, nous avons parlé un peu de notre avenir et quand je lui ai dit que je souhaitais enseigner, il m’a dit qu’il avait passé un diplôme qui pourrait m’être très utile pour ma carrière.

— Ah bon ? s’étonna sa mère.

— Oui c’est le B.A.F.A, reprend Tom.

— C’est certainement le brevet d’aptitude à foirer son année, dit son père en ricanant.

-Non… C’est le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur.

— Je plaisantais.

— Je sais mais je ne comprends pas pourquoi tu te moques car ça peut m’être utile pour la gestion d’un groupe d’enfants ou tout au mieux connaître les adolescents, leurs besoins, leurs attentes…

— Oui, nous sommes d’accord ! souligne sa mère. La maman de Joey m’en avait parlé mais j’ai préféré ne rien te dire car je n’ai pas envie que tu surcharges ton emploi du temps. N’oublie pas que tu es en terminale et que tu as ton bac à la fin de l’année et qu’il va falloir que tu t’accroches pour le réussir. Tu es un élève moyen et tu sais qu’il te faut travailler plus que d’autres pour t’en sortir, tu n’as pas les mêmes facilités. Donc si tu commences à être distrait, tu risques de passer à côté du plus important. Et je te rappelle que tous tes mercredis sont occupés par le solfège et le piano.

— Mais ce diplôme me permettrait d’avoir une autre approche de l’enseignement, de mieux aborder un groupe et de mélanger ma formation aux différents exemples pédagogiques des professeurs que j’ai eus jusqu’à présent.

— Oui naturellement. Mais pense à tes résultats aussi. Sans bac pas de travail ! Et puis que sais-tu de ce diplôme ?

— Tout d’abord il faut avoir dix-sept ans révolus pour passer le premier stage.

— Alors en attendant le seize novembre, concentre-toi sur tes prochaines interrogations ! Dans trois jours il y a les vacances de Toussaint, alors donne-toi à fond pour ne pas avoir à regretter. En plus, tu ne dois pas oublier le bac blanc que tu as après les vacances de Noël. Si tu ne t’y mets pas rapidement, tu vas devoir tout réviser au dernier moment alors que tu sais qu’il faut faire très attention à réaliser un travail régulier et sérieux pour réussir.

     En voyant la mine déçue de leur aîné, Manon et Flo vinrent lui faire un gros bisou pour le réconforter en lui signalant que ce qui venait d’être dit n’était qu’un conseil et que, d’une manière ou d’une autre, ils seraient tous les deux en permanence derrière lui pour le soutenir. Mais ils voulaient en savoir beaucoup plus sur ce diplôme que l’âge nécessaire requis. De plus, ils mettaient leur fils en garde sur le fait que faire de l’animation n’avait rien à voir avec une gestion de trente élèves en classe !

     Sur ce, Tom reprit espoir, sourire et se donnait comme objectif de satisfaire la curiosité de ses parents ainsi que la sienne, car jusqu’alors, il n’avait aucune idée du déroulement de la formation et son coût. Plus jeune, il était inscrit régulièrement pendant les vacances d’été à des centres de loisirs. Il adorait ces temps-là, se retrouver entre copains, faire des jeux, des campings, draguer les filles… Il avait donc une idée de ce qu’était un animateur mais rien de bien précis. Il ne voyait, à ce moment-là, que l’aspect ludique du métier.

     Après un repas délicieux et détendu et juste avant de se coucher, il était si enthousiaste qu’il devait faire part de ses nouvelles intentions à une personne qui compte beaucoup dans sa vie. Il s’appelle Charles et il a neuf ans, bientôt dix car il est né le deux novembre. Ce garçon est entré dans la vie de Tom il y a environ deux ans lors de l’été et un lien très fort s’était créé entre tous les deux. Et ce qu’ils appréciaient, était d’avoir leurs deux anniversaires si proches, même si jusque-là ils n’avaient jamais pu le fêter ensemble.

     Tom, tout en étant originaire du Sud, a de la famille en Alsace. Il a une arrière-grand-mère maternelle qu’il est allé voir durant le mois d’août, mais ce n’était pas la première fois. Lors de sa première visite, quand il avait un peu moins de sept ans, il a fait la connaissance d’une jeune fille de son âge, Léa, qui est devenue sa meilleure amie. Charles est un petit cousin à cette amie. Durant les deux derniers étés, ils ont eu l’occasion de passer plusieurs après-midis ensemble et dès lors, Tom et lui sont devenus des frères de cœur. Ils s’appelaient de temps en temps, s’envoyaient de petites lettres… Tom ferait tout et n’importe quoi pour ses deux frères mais il n’a jamais réussi à montrer ses sentiments pour eux alors qu’avec Charles c’était complètement différent. Avec lui, Tom était protecteur, il le soutenait et l’adorait et savait que c’était réciproque. D’ailleurs, il se reprochait souvent de commettre une injustice sentimentale vis-à-vis de ses propres frères mais c’était plus fort que lui. Il n’a jamais compris pourquoi c’était aussi simple avec Charles et pas avec ses deux frères. 

Vers le livre